Alain Bernard : « L’or à Pékin ? C’est gravé à jamais »
Avec 4 médailles dont deux en or aux Jeux Olympiques, Alain Bernard est entré au Panthéon des sportifs français. Légende de la natation et parmi les derniers porteurs de la flamme , le natif d’Aubagne s’épanouit dans l’entrepreneuriat aujourd’hui mais garde un œil attentif sur les bassins. Il sera aux commentaires des JO pour Eurosport.
Alain, on imagine que vous êtes particulièrement sollicité à quelques jours des Jeux… À quoi ressemble la vie d’un ancien double champion Olympique aujourd’hui ?
C’est effectivement la période qui veut ça. C’est tant mieux. Ce titre olympique de 2008 revient à la surface. Il était dans l’inconscient collectif mais j’ai l’impression qu’il prend encore plus de valeur aujourd’hui. Beaucoup de gens m’arrêtent dans la rue pour me féliciter, me remercier, ça fait chaud au cœur. Nous ne sommes qu’en milieu d’année et j’ai du faire une bonne trentaine d’interventions en entreprise. Dans tous les domaines, de quelques collaborateurs à plusieurs centaines.
Aussi en lien avec vos activités entrepreunariales…
Je m’investis dans des projets autour des piscines. Dans la « tech ». Par exemple, avec l’entreprise montpelliéraine « Vogoscope » qui développe un projet de caméras multifaisceaux dans les bassins pour aider à l’analyse des mouvements des nageurs et donc une amélioration de la performance. J’ai co-créé une start-up, « Pool-On », avec l’objectif de dynamiser l’apprentissage de la natation pour les enfants en projetant des images dans le fond du bassin. Ça peut être un décor ou une activité interactive. Enfin, il y a ce concept de piscine « Essentielle », avec 4 couloirs de nage et une halle de bassin ventilée naturellement pour aider les personnes souffrant d’asthme comme moi. Tout ça, c’est ce dont j’aurais aimé bénéficier dans mon parcours de nageur. Ça touche le grand public, pas uniquement le haut niveau.
Vous disiez les Français un peu râleurs à l’approche des JO. On imagine que vous êtes particulièrement excité de voir les Jeux arriver en France…
Il faut sortir de ce marasme. J’ai envie de porter un message d’espoir et un discours positif. Je suis un éternel optimiste. J’ai connu un tas de situations dans ma carrière qui aurait pu me faire baisser les bras et passer à autre chose. Le sport m’a appris que la ténacité finit par payer. Je suis l’un des ambassadeurs de ces JO sans aucun lien de subordination avec Paris 2024. C’est un rôle que j’ai malgré moi. C’est juste la joie de voir mon pays accueillir les Jeux.
Vous serez évidemment à La Défense Arena pour les compétions de natation. Vous aurez un rôle de commentateur…
Oui, je serai sur Eurosport pour commenter la compétition en direct. Toute la journée et le soir pour le « Club France » !
LA VICTOIRE DE ALAIN BERNARD À PÉKIN EST LÉGENDAIRE. pic.twitter.com/TCVvq7oSR5 https://t.co/d0KsROU9JP — MR.CARTER (@NelsonCarterJr) January 5, 2024
La pression ne sera pas trop forte sur les nageurs français devant plus de 15.000 personnes ?
C’est vraiment énorme. À Pékin ça devrait être 12.000. C’est grandiose. Il n’y a qu’aux JO qu’on peut voir ça. Ils savent qu’ils sont attendus. Ils s’entraînent depuis des années pour vivre ces moments. Ils sont bien partis.
« J’ai envie de croire
entre 5 et 10 médailles.
En incluant l’eau vive. »
Combien de Français voyez-vous se mêler à la bagarre pour une médaille ?
Maxime Grousset, Leon Marchand et Mewen Tomac ont cette régularité dans la performance qui augmente leur capital confiance. Il n’y a pas de secret… La régularité te permet d’avoir plus de certitudes. Yohann N’Doye et l’ensemble du groupe de Mickael Chrétien sont dans une bonne dynamique. D’autres ont des performances en dents de scie. Ca ne veut pas dire qu’ils ne seront pas performants aux JO mais ça reste plus incertain. En tout cas vu de l’extérieur.
Vous voyez combien de médailles pour cette olympiade en natation ?
J’ai envie de croire entre 5 et 10 médailles. En incluant l’eau vive.
Qu’est-ce qu’on ressent sur le plot de départ quelques instants avant le début de la course ?
Tu n’es pas seul. Tu as 7 autres gars avec toi. Tu sais que tu vas jouer un moment important de ta vie. Si on n’est pas excité et porté par ça, il ne faut pas y aller. Ça doit te galvaniser. C’est quelque chose d’extraordinaire. Surtout en tant que Français. Malgré tout, j’étais content d’être dans ma bulle, loin de l’agitation, en 2008 à Pékin. Il n’y avait pas ou peu de réseaux sociaux. C’est plus difficile aujourd’hui.
On entend le public s’enthousiasmer quand on est dans l’eau ?
Sur le départ du 100m à Pékin, tu aurais pu entendre une mouche voler. C’est à ce moment là que j’ai ressenti le plus de stress. Après, on entend un brouhaha. On ressent comme une vibration dans l’eau, un bruit de fond très lointain. C’est un moment extraordinaire lorsque tu touches le mur à l’arrivée (ému). C’est gravé à jamais dans ta vie. C’est difficile parce que même si je le raconte souvent, les souvenirs s’estompent. Des sensations, des odeurs, des impressions visuelles.
Pour vous, les JO c’est une grande et belle histoire avec la conquête des 3 métaux en 2008 à Pékin ! Et vous resterez à jamais le premier Français à remporter l’or sur 100m nage libre…
C’est l’accomplissement ultime pour un nageur. C’est une fierté évidemment. C’est l’histoire d’un gamin qui a appris à nager à Aubagne et qui n’avait pas confiance en lui. Le sport m’a aidé à me construire. C’est pour ça que je suis légitime dans ce rôle d’ « ambassadeur » mais on m’oubliera plus vite que tous les grands nageurs qui ont fait l’histoire de ce sport comme Weissmuller, Popov ou Van den Hoogenband.
Elle ne vous manque pas aujourd’hui, cette adrénaline de la compétition ?
C’est trop lié à la dureté de l’entrainement. Ce sont des moments de souffrance. Je ne peux pas être nostalgique de ces moments d’émotion et ne pas pouvoir être rigoureux à l’entrainement. Je n’ai plus ni l’énergie, ni la ressource. J’ai parcouru plus de 50.000 km en nageant. Une voiture qui a 50.000 km, elle est un peu moins neuve. On ne peut même pas parler de deuil. Je suis passé à autre chose. Je sais très bien que je ne vivrai plus des émotions aussi intenses. Je vis autre chose à travers la naissance de ma fille et mes projets entrepreneuriaux.
C’est quoi le quotidien d’un nageur de haut niveau ?
C’est 2 entrainements par jour en moyenne. Plus des échauffements, des étirements, faire attention à l’alimentation, l’hydratation, l’heure à laquelle tu te couches. La vie d’un sportif de haut niveau, c’est une implication du 1er janvier au 31 décembre. L’entrainement, ce n’est pas 2h dans la journée. C’est 6 jours sur 7 et 50 semaines par an.
« La vie d’un sportif de haut
niveau, c’est une implication
du 1er janvier au 31 décembre.
L’entrainement, ce n’est pas 2h
dans la journée. C’est 6 jours
sur 7 et 50 semaines par an. »
Vos succès et votre physique vous ont fait entrer dans la culture populaire. Que ce soit la marionnette aux guignols ou le passage aux Enfoirés, on est préparé à devenir un personnage public ?
99% des gens que je croise, ce sont des attentions positives, un geste, des félicitations… Des gens qui te regardent avec bienveillance et respect pour quelque chose qui a duré moins de 50 secondes, ça fait toujours chaud au cœur. Je pense que je ne m’y habituerai jamais. Je suis quelqu’un d’authentique. Des choses blessantes ont pu être dites, écrites ou relayées sur moi donc ça m’a forcément affecté. Cette médiatisation n’a pas toujours été facile a gérer mais j’ai été bien entouré notamment par mon entraineur historique, Denis Auguin.
Vous avez fait partie d’une génération de nageurs exceptionnelle. Pour la première fois de son histoire, la France avait 5-6 nageurs capable de gagner une médaille…
Laure Manaudou a essuyé les plâtres plus que notre génération. Elle en a pris plein la tête. C’est un truc de dingue. Elle a eu pas mal de désagréments. Ça nous a tous affectés. Voir Laure gagner à Athènes en 2004 a eu un impact énorme sur moi. Ça a permis de désacraliser la chose. On nous parlait sans arrêt de ce titre de Jean Boiteux en 1952. Avant Laure, les champions étaient toujours Américains ou Australiens. J’avais 21 ans, je n’étais toujours pas en équipe de France. Il y a eu une vraie dynamique de gagne avec toute cette génération après ça. Il y avait énormément d’exigence à la Fédération.
Vous avez connu une progression impressionnante. Comment passe-t-on de 53’31’’ en 2001 à 46’94’’ en 2009 ?
Il faut être capable d’identifier les choses sur lesquelles tu peux progresser. Ce temps de 53’31’’ je l’ai fait en nageant en 4 temps. Auparavant, je nageais en 2 temps. Cette saison-là, j’ai gagné plus de 2 secondes avec ce changement majeur. J’ai aussi nagé sur des fréquences plus basses pour maintenir une vitesse linéaire durant la course. Et ainsi de suite jusqu’au record du monde. C’est une méthode scientifique. Mon entraineur, Denis Auguin, est venu me voir avec un schéma pour m’expliquer qu’en maintenant ma fréquence de nage mais en allant chercher 1 petit centimètre supplémentaire devant moi avec mon bras, j’avais toutes les chances de battre le record du monde. Il faut être perfectionniste à l’extrême. Quand tu es dans une démarche de passer sous les 47 secondes, tu intellectualises la chose pour ne rien laisser au hasard. Ça passe par beaucoup de détails. L’exigence va croître en même temps que l’épanouissement. Tu travailles dur, tu as mal aux bras, mais tu progresses. Ça te donne envie de bosser et d’atteindre le très haut niveau. C’est un cercle vertueux.
Qu’est-ce qui vous a empêché de gagner l’or sur 50m ?
Mes faiblesses subaquatiques ne m’ont pas aidé. Je perdais trop de temps dans la coulée. Je n’ai pas cette morphologie de souplesse du bassin mais je peux créer de la vitesse rapidement sur mes premiers appuis. Plutôt que d’améliorer mes coulées, on s’est concentré sur la prise de vitesse.
Jean-François Lamour, Félicia Ballanger, Florian Rousseau, Emilie Le Pennec, David Douillet, Clarisse Agbegnenou, Alain Bernard, Laurent Manadou, Renaud Lavillenie, Laura Flessel... Ils sont tous là. #Paris2024 #ceremoniedouverture #JO2024 #JO2024Paris pic.twitter.com/3PQehBlQqf — Médias Infos (@Mediasinfos) July 26, 2024
Votre rivalité avec Eamon Sullivan a alimenté les chroniques sportives pendant des années. Avez-vous gardé contact avec lui, suivez-vous ce qu’il devient sur les réseaux ?
Je suis un peu triste de ne pas avoir entretenu cette relation. L’éloignement ne facilite pas les choses. Je suis convaincu que si je le contacte sur les réseaux, il me répondra avec plaisir. En 2013, à l’arrêt de nos carrières, il m’avait envoyé un message m’indiquant qu’il était de passage sur Paris. J’ai découvert un épicurien. Il aime les bonnes choses. Il m’a invité à dîner. C’était l’un de mes premiers étoilés. L’atelier de Joël Robuchon. La barrière de la langue m’a toujours empêché de lui témoigner cette reconnaissance malgré notre rivalité. J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour lui. Il a bousculé les codes.
Il n’y a pas eu de rivalité malsaine…
Avec lui, non ! Avec d’autres c’était plus compliqué…
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