Japhet N’Doram : « On les avait bousculés »

Un n°10 de légende, un sorcier doté d’une élégance folle balle au pied. Japhet N’Doram a fait rêver les supporters des Jaune et Vert pendant 7 saisons (1990-97, 87 buts en 229 matches). Le « grand frère » de l’une des générations dorées du FC Nantes se dit « fier » mais pas « nostalgique » du parcours des Canaris en Coupe des Clubs Champions 95- 96. Retour avec « Japh’ » sur la double confrontation mythique face à la Juventus.

Feb 15, 2023 - 11:56
Mar 2, 2023 - 10:11
Japhet N’Doram : « On les avait bousculés »

Le FC Nantes a de nouveau conquis un titre en mai dernier au Stade de France. Comment avez-vous vécu ce match qui permet aujourd’hui au FCN de disputer l’Europa league ?

Il y a une sorte de renouveau. Le FC Nantes avait disparu des radars. J’étais au Stade de France avec le Kop le 7 mai, en dessous du Tifo avec les anciens... C’était quelque chose d’extraordinaire. Je n’ai pas assez d’images pour montrer tout cela. Ça fait tellement plaisir de les revoir à ce niveau-là, de voir tous les amoureux exulter à nouveau pour leur club. C’est une fierté d’appartenir à cette famille-là. Les supporters ont toujours été là, même en Ligue 2 à faire valoir les valeurs de ce club. Notre génération n’a jamais eu autant d’amour. C’était surtout des connaisseurs qui venaient nous regarder... et parfois nous siffler (sourire)

Vous suivez toujours le club de très près... Comment jugez-vous le FC Nantes de Kombouaré ?
Je vais assez souvent à la Beaujoire. Il y a une attache qui m’est indispensable. J’ai toujours suivi le parcours d’Antoine (Kombouaré) partout où il allait. À mon arrivée au FC Nantes nous n’avons fait que nous croiser. Il partait à Toulon quand j’ai signé́. Malgré cela, on est toujours resté en contact. Il y a des liens naturels. J’ai très bien connu Christian Karembeu qui était un peu mon petit frère. Tout ça a créé des liens. J’étais le premier ravi de voir Antoine revenir à la maison. Il fait en sorte que le FC Nantes existe sur la scène nationale et on espère européenne face à la Juventus. 

Ce match face à la Juventus 27 ans plus tard s’annonce difficile...
C’est un club de dimension internationale. Le FC Nantes n’existe qu’au niveau national. Pour autant, qu’on le veuille ou non, personne ne nous enlèvera le jeu à la nantaise. La Juve se cherche depuis pas mal d’années et le FCN a disparu de la scène européenne. Ça reste quand même une affiche. Cette victoire en Ligue des Champions 1996 reste leur plus grand titre. Leur dernier sur le plan continental. Forcément, ça va rappeler des souvenirs à leurs supporters. Déjà, à notre époque, la balance penchait de leur côté mais on les avait bousculés. C’est une occasion de montrer que le FC Nantes existe toujours.

La Juventus semble en difficulté avec les affaires qui remontent... C’est compliqué pour les joueurs de rester concentré sur le sportif ?

Non je ne pense pas. Ce sont des joueurs de classe mondiale. Des compétiteurs avant tout. Ça serait un déshonneur pour eux de ne pas passer les barrages d’Europa League. 

Quelles armes doit utiliser le FC Nantes pour battre cette équipe ?
Il faut utiliser ce match pour grandir, pour progresser individuellement et collectivement. Les dirigeants aussi peuvent apprendre d’un tel match. Malgré cela, pour les Canaris, il faut avant tout penser au maintien en Ligue 1. Ce n’est pas ce match qui va déterminer l’avenir du FC Nantes. Aussi beau soit-il.

« IL FAUT UTILISER CE MATCH POUR GRANDIR, POUR PROGRESSER INDIVIDUELLEMENT ET COLLECTIVEMENT. LES DIRIGEANTS AUSSI PEUVENT APPRENDRE D’UN TEL MATCH. »

En 96, vous avez réalisé une grande campagne européenne... Qu’est-ce qu’il a manqué́ à cette équipe pour aller au bout ?
Pas grand-chose... Il y a un peu d’amertume. On était diminués ! Il manquait Pedros, Makélélé, et moi-même. Sans parler du départ de Karembeu et Loko à l’intersaison. Que des joueurs très importants dans notre système. Sans renier ceux qui sont venus nous renforcer comme Jocelyn Gourvennec et Benoît Cauet. Avec leur apport et les absents on aurait pu rivaliser avec les meilleurs clubs d’Europe et l’emporter. La Juve a été meilleure que nous sur ces deux matchs. L’expérience de ce genre de matchs, de compétitions a beaucoup joué. La culture club en quelque sorte.  

Où étiez-vous au match aller ?

On était en tribunes. Il y avait quelque chose à faire ! Quand on voit le carton rouge de Bruno Carotti juste avant la mi-temps, on se dit qu’il nous a manqué un peu d’expérience. En face, il n'y avait que des internationaux. Vialli, paix à son âme, Deschamps, Del Piero, Conte... Ce match aller aurait pu basculer si on avait été tous ensemble sur le terrain. 5 joueurs sur 11 de niveau « international », c’est énorme ! C’est l’équilibre de l’équipe. Malgré cela, on n’est passés loin. C’est frustrant. Put...(sic), on ne se rendait pas compte mais on était bons ! 

Difficile de ne pas parler de l’arbitrage de Dermot Gallagher à l’aller... Cette expulsion de Bruno Carotti, vous en pensez quoi sur le moment et avec un peu de recul ?

Tout ça fait partie de l’aura des grands clubs internationaux. La Juventus n’est évidemment pas arbitrée de la même façon que le FC Nantes. Comme le Barça et le Real. Je préfère retenir l’épanouissement qui a été le nôtre dans le jeu. On avait besoin de nos camarades pour briller. On éprouvait un plaisir énorme à jouer ensemble. Le jeu (il répète 5 fois) ! C’est ça le football. Coco (Suaudeau) a su nous réunir autour de ça. Aujourd’hui, on parle sans arrêt de statistiques. Ça n’existait pas chez nous. On en a profité́ tous ensemble. Je regarde le football d’aujourd’hui et je constate que cet état d’esprit disparaît petit à petit. On avait cela en nous parce que Coco nous a fait comprendre l’importance de jouer les uns pour les autres. C’est un pionnier, tout comme Raynald Denoueix qui a formé la génération suivante. 

Très peu de joueurs non issus du centre de formation ont réussi à s’intégrer au jeu à la nantaise...
Je me suis fondu dans ce jeu. J’étais un joueur de la rue au Tchad. J’ai eu la chance de développer ces qualités dans un contexte professionnel. Ça a été le bonheur... le bonheur ! Je ne me rendais même pas compte. Pedros, Ouedec, Makélélé... Ça m’émeut quand je repense à tout ça. On avait une grande considération pour les Decroix, Pignol, Le Dizet, Capron, Marraud, etc C’est une fierté d’avoir pu jouer à leurs côtés. Ils nous ont permis de nous épanouir. Il y avait une reconnaissance mutuelle énorme entre tous ces joueurs. 

Au match retour à la Beaujoire, vous inscrivez un but mémorable de l’extérieur du gauche... poteau rentrant. Quel souvenir vous laisse ce moment ?

Ça parle surtout de la fierté qui animait ce groupe de joueurs. On était mené à deux reprises ! Et on finit par l’emporter 3-2. A ce moment-là̀ ce qui dominait c’était “Ils ne vont pas nous battre“. On les a bousculés jusqu’au troisième but de Franck Renou. Un joueur dont on ne parlait pas beaucoup mais qui correspondait parfaitement à notre état d’esprit. Cette fierté de porter ce maillot. C’était en nous. Depuis le centre de formation. Tous les joueurs se reconnaissaient dans ces valeurs. Il y avait autant d’amour et de reconnaissance pour ceux qui jouaient moins et qui nous poussaient à porter ce flambeau. 

« ON ÉPROUVAIT UN PLAISIR ÉNORME À JOUER ENSEMBLE. LE JEU ! C’EST ÇA LE FOOTBALL. COCO A SU NOUS RÉUNIR AUTOUR DE ÇA. AUJOURD’HUI, ON PARLE SANS ARRÊT DE STATISTIQUES. ÇA N’EXISTAIT PAS CHEZ NOUS. JE REGARDE LE FOOTBALL D’AUJOURD’HUI ET JE CONSTATE QUE CET ÉTAT D’ESPRIT DISPARAÎT PETIT À PETIT. » 

Vous y croyez encore à 2-2 quand vous allez chercher le ballon dans les filets ? Il faut marquer 3 buts en 20 minutes…

Honnêtement non. C’était plus la fierté de pouvoir les battre. C’était l’idée en allant chercher le ballon. C’était une manière de montrer qu’on peut grandir. 

Les trentenaires étaient assez rares dans cette équipe... Vous étiez l’un des cadres de cette équipe nantaise à 30 ans !

Oui, j’étais l’un des plus anciens avec David Marraud. Ça s’exprimait sur le terrain. Je n’avais pas besoin d’aller les voir. J’étais le vice-capitaine. Jean-Michel (Ferri, ndlr) était issu du club... C’était donc respectueux et raisonnable que ce soit lui. Ils sont tous unanimes sur le fait que j’étais leur grand frère. Ils ne me l’ont jamais exprimé pendant ma carrière. C’est après que les Loko, Ouedec, Pedros, Makélélé me l’ont dit. J’essayais d’être un exemple dans ce que je pouvais leur montrer. 

Vous êtes toujours en contact ? 

Oui. Qu’ils aient une bonne opinion de moi me rend heureux en tant qu’homme. Quand on demande à un Pedros ou un Gourvennec quel est le plus grand joueur avec lequel ils ont évolué et qu’ils citent mon nom, ça me touche énormément. Moi qui sort de nulle part, je n’aurais jamais pu m’imaginer gagner leur cœur. Des joueurs d’une grande qualité footballistique et humaine. 

Cette défaite marque la fin d’une époque pour le FC Nantes. Vous étiez un peu le dernier des Mohicans la saison suivante...

On a perdu tout le monde ou presque. Après Karembeu et Loko la saison précédente, c’est Pedros, Ouedec qui ont quitté le nid. On fait un début de saison catastrophique et ça s’est fini sur la remontée fantastique comme on dit. De la 18e à la 3e place. On avait toujours une belle équipe avec Makélélé, Gourvennec, Le Roux... le guide (Suaudeau, ndlr), l’âme de cette équipe était toujours là. 

Vous avez joué un cran plus haut cette saison-là (21 buts)...
Je ne retiens pas trop cette statistique. C’est Coco qui m’a fait avancer d’un cran. Il m’a dit : « Jocelyn est là, on fait quoi ? » Je lui ai répondu : « Mais coach vous faites ce que vous voulez (rires) ! » Ça ne me dérangeait pas du tout, je restais dans l’esprit du jeu ! La question ne se posait pas mais il voulait avoir mon aval. 

Et en fin de saison vient le temps du départ pour vous aussi...
À la fin de la saison, je suis parti à Monaco avec Christophe Pignol et Claude Makélélé s’en est allé à Marseille. Une nouvelle génération (Landreau, Da Rocha, Savinaud, Carrière...) qui avait débuté avec nous a pris le pouvoir pour gagner le championnat et deux Coupes de France.

Le magazine So Foot vous a classé à la 44e place des meilleurs joueurs de l’histoire du Championnat de France sur la dizaine de milliers à avoir joué dans notre championnat... Vous le saviez ?
Je ne savais pas... C’est énorme 44e ! Whaou... J’ai eu de la chance mais aussi du talent, il faut le reconnaître (il sourit). Je ne découvre rien quand je regarde un match de football aujourd’hui. On le faisait dans la rue étant gamin. Je me rappelle de Roger Boli (le frère de Basile, ndlr) qui me disait toujours que je jouais comme sur une Playstation (rires).

Matthieu BELLÉE Journaliste au Journal Nantes Sport