Pignol, souvenirs de campagnes

Les Invincibles de 1995 sont souvent réduits à leurs éléments offensifs. De retour dans son Sud natal, à Aubagne, Christophe Pignol, latéral gauche de ce 11 mythique du FCN, revient sur les grands moments des parcours européens des Jaune et Vert du milieu des années 90 (141 matches entre 1993 et 1997)...

Feb 15, 2023 - 14:29
Feb 19, 2023 - 18:45
Pignol, souvenirs de campagnes
Pignol, souvenirs de campagnes

Les débuts face à Valence en 1993

C’était fabuleux de commencer mon aventure européenne avec le FC Nantes au Stade Mestalla (élimination en 32e de finale : 1-1 ; 1-3 a.p.). Ça reste ma première entrée en Coupe d’Europe et ma première rencontre avec le très haut niveau. Je savais qu’il fallait que je m’intègre au jeu à la nantaise. C’était tout nouveau pour moi. Il y a des éliminations qui font grandir. Les parcours qui ont suivi avec cette génération de joueurs en sont la preuve. 

La campagne de Russie : Volgograd et Kamyshin (Coupe de l’UEFA 94-95)

Ce n’est jamais facile de s’imposer en Russie. Les préparations de matchs étaient toujours périlleuses. J’ai ce souvenir de stades froids, ouverts, parfois avec une piste d’athlétisme autour. On a été bousculés par Volgograd là-bas (défaite 3-2) avant de s’imposer « proprement » à domicile (3-0 ; 32es de finale de C3). Kamyshin (16es), c’était un vrai bourbier. La Russie en novembre (rires). La veille on se demandait si le match aurait lieu. Nico Ouedec était en feu (2-0 ; 2-1) ! Sur ces matchs de Coupe d’Europe il était inarrêtable (6 buts cette saison-là). 

Leverkusen : les doutes et l’imbroglio des gardiens

On était sûrs de nos forces. Peut-être trop... Quand on regardait des vidéos des tours précédents de Leverkusen, sincèrement, on est assez confiants. C’était une équipe à notre portée. Sur ce match aller (quart de finale 94-95 ; 5-1 ; 0-0), on a eu le sentiment que nos adversaires allaient beaucoup plus vite que ce qu’on avait vu à la télé. C’est la première fois que j’ai été confronté à ce sentiment d’impuissance. Ce qu’ils dégageaient en termes de course, de vitesse et d’endurance, c’est un peu le point d’interrogation de cette épopée. Ce n’était pas clair... Il y a un doute qui subsiste sur leurs capacités physiques ce jour- là. C’est la seule fois de ma carrière où j’ai ressenti ça.

Et puis, sur le stade d'entraînement de Leverkusen, on s'aperçoit que Jean Louis (Garcia, ndlr) est un peu fébrile. C’est palpable. Il faut se mettre à sa place aussi. Il n’avait jamais joué en pro, il sortait de l’ANPE. On l’avait appelé suite aux forfaits de Marraud, Casagrande et Loussouarn. Il allait jouer un quart de Coupe d’Europe ! Pour la petite histoire, avant de rentrer sur le terrain, Coco Suaudeau me glisse à l’oreille « Évite les passes en retrait à Jean-Louis (rires) »... C’est extraordinaire quand même ! Il sentait les choses... Et qu’est-ce que je fais sur le deuxième but, une passe un peu molle... On est fautifs tous les deux. Tout ça nous a mis dans un état de fébrilité. On prend une dérouillée ! Au retour, tu vois bien que les gars ne sont pas les mêmes. 

Les voyages en Europe

Les déplacements en règle générale permettaient de partir 2-3 jours et de ressouder le groupe. Les épouses pouvaient venir avec nous. Il y avait un esprit de famille. Les conditions n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. En Russie, on avait tout juste emmené un cuistot français... on ne savait pas trop ce qu’on allait « bouffer » là bas. Il n’y avait pas trois tonnes de matériel. Les hôtels étaient « limite » (rires). On ne faisait pas trop de tourisme. Beaucoup de voyages mais peu de visites. Mon épouse se rappelle mieux que moi de la Place Rouge. Elle avait pu visiter pendant deux jours. Souvent les gens pensent qu’on peut voir du pays mais je ne connais rien de Porto, de Moscou, de Valence... A part les stades (rires). 

Un groupe équilibré en Coupe des clubs champions 95-96

Porto était le favori du groupe et pourtant c’est le Panathinaïkos qui a créé la surprise. On avait souffert en Grèce (défaite 3-1). La différence se fait sur Aalborg (les seules victoires de la phase de poule). Reynald (Pedros) marque un but fantastique. Il marque aussi un doublé face à Porto. C’était un groupe assez équilibré comme en témoigne nos 3 matches nuls. J’ai revu des images récemment du match face à domicile face au Pana sous la neige. Un hiver glacial à Nantes en 96. 

Spartak Moscou (Coupe des clubs champions 95-96)

À l’époque, les clubs de l’Est étaient constitués en majorité d’internationaux. Ce n’était pas un tirage facile pour ce quart de finale de C1. On ne joue même pas dans leur stade officiel à cause de la neige. Pour la petite anecdote, Coco nous dit avant le match retour « Attention à Nikiforov sur les coups de pied arrêtés ». Il nous en a planté deux de la tête (rires) ! Il sautait plus haut que tout le monde et pourtant on avait des clients. Encore aujourd’hui, quand on me demande si je retiens un joueur qui m’a impressionné durant ma carrière, je cite Nikiforov. Il avait beaucoup de charisme. Avec ces deux buts, les Russes ont donc rapidement refait leur retard de l’aller. On a égalisé en deuxième période grâce à un doublé de Ouedec et un peu grâce à ma passe décisive sur le premier but (rires). On se qualifie au mental (2-0 ; 2-2). Il ne faut pas oublier que dans ce groupe il y avait du talent mais il y avait aussi de la solidarité, de l’agressivité, de la solidité... Une force intérieure qui faisait qu’on était capables de marquer à n’importe quel moment. Ce n’était pas que le jeu à la nantaise et le tarif maison. 

Juventus : l’arbitrage maison de Dermot Gallagher ?

Je l’ai toujours eu en travers de la gorge, cette expulsion. C’est inexplicable. Ça fait partie des regrets dans ma carrière. On se pose vraiment la question... Est-ce que l’arbitre de cette demi-finale aller de C1 n’était pas conditionné ? Marc Roger qui était agent de plusieurs joueurs du FC Nantes logeait dans le même hôtel que les arbitres. Dans un extrait de son livre paru dans l’Équipe, il évoque que la veille du match, les arbitres ont reçu de la visite (féminine, ndlr)... Ça te fait cogiter ! Tu ramènes tout à une possibilité de t’être fait voler. C’est du passé maintenant. On avait le sentiment qu’on pouvait aller au bout. On ne craignait pas grand monde avec notre petit soupçon d’insolence. Je préfère retenir le match retour. C’était une chance fantastique de jouer une demie de Coupe d’Europe dans une Beaujoire en fête. Il nous reste la communion avec le public. Je souhaite à cette nouvelle génération de vivre les mêmes émotions. Je verrai ça à la télé. Je serai de tout cœur avec vous.

Matthieu BELLÉE Journaliste au Journal Nantes Sport