Da Rocha : « Tu ne peux pas lâcher contre la Juve »

Il est de ceux dont la voix porte dans la « grande famille » du FC Nantes. Pour ce quatrième volet de notre série consacrée au FCN en Coupe d’Europe, Frédéric Da Rocha a accepté de nous confier ses souvenirs accumulés au cours de ses cinq campagnes européennes avec les Canaris. Un cadeau de Noël en avance pour tous les fans des Jaune et Vert tant « Da Roch’ » bénéficie d’un statut d’icône sur les bords de l’Erdre. C’est à Carquefou, où il coache l’USJA, que l’emblématique numéro 8 du FCN nous a reçu pour un entretien nostalgie. « Oh Ah Da Rocha ! Say Oh Ah Da Rocha ! »

Feb 16, 2023 - 11:27
Feb 20, 2023 - 11:32
Da Rocha : « Tu ne peux pas lâcher contre la Juve »

Cette saison marque le grand retour du FC Nantes en Coupe d’Europe... Cela a dû faire remonter quelques souvenirs !

Je suis ravi pour les supporters. C’est plus difficile d’aller voir les matchs le weekend étant moi-même entraîneur de l’équipe première de Carquefou... Forcément, mes weekends sont bien remplis. La Coupe de France a permis de remettre en lumière la ferveur autour du club. Ce que les supporters ont fait en Coupe d’Europe, je ne l’ai vu dans aucun stade en France. On avait l’impression d’un voir un match en Argentine. Qu’est-ce que ça va être contre la Juventus ! 

Vous arrivez à garder une âme de supporter après toutes ces années ?
Oui, je suis supporter parce ce que j’ai envie que le club réussisse. Après, forcément je suis plus détaché. Je ne veux pas mettre certaines personnes en porte-à-faux avec la direction par ma présence au stade. Je ne mets pas les pieds au centre de formation non plus. Nous n’avons pas la même vision des choses mais ce n’est pas pour ça que je souhaite de malheur au club. Quand on est joueur, on est dépendant de l’environnement autour du club. On espère tous le maintien en Ligue 1 et un beau parcours en C3. 

Vous avez suivi le parcours en Coupe de France et la finale au Stade de France ?
Je n’ai pas pu y aller parce que je devais coacher les jeunes. Malheureusement on a dû déclarer forfait face au manque de joueurs (sourire). J’ai regardé le match à la télé... C’était une ambiance extraordinaire, encore une fois, avec ce stade au trois-quart Jaune et Vert. 

« COMME A PU LE DIRE ANTOINE KOMBOUARÉ, L’EFFECTIF N’EST PAS ASSEZ CONSÉQUENT POUR JOUER SUR TOUS LES TABLEAUX... ÇA REND LA ROTATION PLUS DIFFICILE POUR RESTER COMPÉTITIF. LA COUPE D’EUROPE PUISE ÉNORMÉMENT D’ÉNERGIE. ÇA DEVRAIT ALLER MIEUX DANS LA DEUXIÈME PARTIE DE SAISON. » 

La saison du FC Nantes à des airs de celle du FCN en 2002. Comme vous à l’époque, les Canaris ont du mal à enchainer avec le championnat...

Comme a pu le dire Antoine Kombouaré, l’effectif n’est pas assez conséquent pour jouer sur tous les tableaux... Ça rend la rotation plus difficile pour rester compétitif. La Coupe d’Europe puise énormément d’énergie. Ça devrait aller mieux dans la deuxième partie de saison. À priori il s’agira simplement d’un match aller-retour. En plus, il y a eu une coupure de plusieurs semaines. Les organismes ont pu se régénérer. Ce qui sera moins le cas pour les équipes avec beaucoup d’internationaux. Il faut jouer tous les coups à fond ! Tu ne peux pas lâcher contre la Juventus. 

Vous aviez la tête à l’Europe ? C’est compliqué de se remobiliser après un tel exploit en coupe ou en championnat ?
On était partis sur 2 phases de poules de 6 matchs. Forcément, l’équipe y avait laissé des plumes. Quand tu joues des cadors européens (Manchester, Bayern, Lazio, Galatasaray...) et que tu dois te battre pour le maintien trois jours plus tard, ça puise énormément dans tes ressources. Mentales et physiques. On a également contribué au licenciement de Raynald (Denoueix) par nos mauvais résultats en championnat. C’est dur. Malheureusement, on ne reviendra pas en arrière. Je pense qu’à l’époque, Gripond ne pouvait pas supporter Denoueix. J’espère que ça ne sera pas le cas d’Antoine... Ce qu’il fait avec les moyens qu’il a, c’est plutôt pas mal.

 « LA JUVENTUS A QUAND MÊME DE SACRÉES INDIVIDUALITÉS. JE DIRAIS QUE C’EST DU 60-40. ATTENTION TOUT DE MÊME AVEC CE QU’IL SE PASSE À LA TÊTE DU CLUB TRANSALPIN... JE NE SAIS PAS COMMENT ILS VONT FINIR LA SAISON. ÇA PEUT DÉSTABILI- SER LES JOUEURS. » 

C’est la Juventus qui se dresse sur le parcours des Canaris... Comment voyez-vous cette rencontre ? Elle semble encore plus déséquilibrée qu’en 1996 !

Vous savez le football, c’est le seul sport collectif où l’on peut voir des surprises ! Je dirais que c’est du 60-40. La Juventus a quand même de sacrées individualités. Attention tout de même avec ce qu’il se passe à la tête du club transalpin (démission de l’ensemble de la direction)... Je ne sais pas comment ils vont finir la saison. Ça peut déstabiliser les joueurs. 

Avez-vous des souvenirs particuliers de ce match de 1996 ? Vous étiez tout jeune professionnel...

J’étais dans le groupe de 20 joueurs à l’aller comme au retour. On était en tribune avec Nicolas Savinaud comme il n’y avait que 18 joueurs à pouvoir être inscrit sur la feuille de match (sourire). C’est l’expulsion de « carotte » (Carotti) avant la mi-temps qui fait basculer le match. Ils n’ont pas été extraordinaires là-bas. Ensuite, pour reprendre deux buts à la Juve ce n’est pas facile. Au retour, ils avaient évidemment ça en tête. C’était trop dur... Il aurait fallu gagner 5-2.  

Dominique Casagrande demandait récemment aux joueurs nantais de vous « venger ». Vous aussi, vous avez cet esprit de revanche sur ce match ?

Non... De l’eau a coulé sous les ponts. Bien sûr on a eu le sentiment après le match que le grand d’Europe n’avait pas été arbitré de la même manière que le petit. Les joueurs actuels ne connaissent pas cette histoire. Comme les jeunes supporters nantais, ils vont se créer leurs propres souvenirs. 

A titre personnel, vous avez disputé vos premières minutes en Coupe d’Europe en 95-96, contre Aalborg...

Je n’avais qu’une envie, c’était d’y être. Ce sont des matchs différents, en pleine semaine. On prenait un grand plaisir à jouer ensemble. On se connaissait tous ! Anciens ou jeunes, nous sortions tous du centre de formation. Il y avait un respect mutuel.  

... avant d’y regoûter face à Eindhoven en 2001 à la Beaujoire !
J’étais blessé pour les deux premières journées de Ligue des champions. Je me rappellerai toujours de l’avant match à domicile contre Eindhoven. J’étais en train de finir ma préparation pour reprendre l'entraînement. Je revenais de ma séance et on m’a annoncé que les deux tours du World Trade Center avaient été attaquées. Ça m’a marqué. Après le foot... c’est secondaire. Ça faisait bizarre d’être au stade ce soir-là. 

Le groupe s’attendait à ce que le match soit reporté ?
J’étais dans ma préparation individuelle suite à ma blessure. Tout le monde ne parlait que de ça. Les joueurs font leur métier mais tu ne peux pas rester insensible à ça. 

Cette saison-là, vous marquez votre unique but en LDC face à Manchester United à Old Trafford, l’ouverture du score (défaite 5-1.) On se sent comment après un but dans le “Théâtre des rêves” ?

J’aurai pu faire le doublé mais j’ai tapé le poteau. On marque le premier but et derrière on prend cinq phases arrêtées. C’est un bon souvenir d’avoir joué là-bas mais c’est loin d’être la plus belle ambiance dans laquelle j’ai joué. À Galatasaray c’était un truc de fou ! On avait l’impression qu’ils étaient sur le terrain avec nous, dès l’échauffement. Ça reste quelque chose d’extraordinaire. C’est vraiment un 12e homme ! 

Vous avez le sentiment d’être allé au bout de ce que vous pouviez faire cette année-là en terminant premier de la première phase de groupe et en réussissant quelques coups dans la seconde ?

Quand on voit les noms des équipes de notre groupe, il y a de quoi être fier. On a été loin d’être ridicules dans la deuxième phase de poules derrière. Il s’en est fallu de peu pour qu’on l’emporte contre Manchester ou Boavista. Après, sur le match de Manchester à domicile, on fait match nul mais on peut dire merci à Micka (Landreau). Il peut avoir 10 dans l’Équipe ce soir-là. Le regret plus globalement c’est de ne pas avoir joué de match aller-retour... On a joué 12 matchs cette année-là. L’équivalent d’une équipe qui joue les demi-finales dans la nouvelle formule de la Ligue des Champions. 

« SI J’AI GARDÉ DES SOUVENIRS EUROPÉENS ? IL Y A PAS MAL DE MAILLOTS QUE J’AI ÉCHANGÉS AVEC D’AUTRES JOUEURS. J’EN AI DONNÉ CERTAINS. D’AUTRES QUE J’AI OFFERTS À MES ENFANTS. D’AILLEURS, ILS S'ENTRAÎNENT AVEC (SOURIRE). JE NE SUIS PAS DU GENRE À ME CRÉER UN PETIT MUSÉE AVEC DES CADRES, DES COUPES... JE GARDE CES SOUVENIRS EN MÉMOIRE ET J’AI PLAI- SIR À LES PARTAGER AVEC MES ANCIENS COÉQUIPIERS. »

Tu as gardé des maillots, des petits artefacts de ces années européennes ?
Il y a pas mal de maillots que j’ai échangés avec d’autres joueurs. J’en ai donné certains. D’autres que j’ai offerts à mes enfants. D’ailleurs, ils s'entraînent avec (sourire). Pareil pour mes deux petites Coupes de France que j’ai données à mes enfants. Je ne suis pas du genre à me créer un petit musée avec des cadres, des coupes... Je garde ces souvenirs en mémoire et j’ai plaisir à les partager avec mes anciens coéquipiers.

Un mot sur la finale de cette année 2001- 2002 de Ligue des Champions avec cette volée de Zidane en finale...

Au-delà de nos matchs, je n’ai retenu que cette action lors de cette campagne de LDC ! Propre. Je crois que même lui, il peut la tenter 50 fois, pas sûr qu’il réussisse à la refaire (rires). C’est magnifique. 

Dans la liste de joueurs que vous avez rencontrés en Coupe d’Europe après la campagne de 1996 (Deco, Henry, Bergkamp, Beckham, Giggs, Crespo, Nesta, Van Nistelrooy, Kean), lequel vous a le plus impressionné ?

Vous avez oublié Veron ! Il fait un match retour exceptionnel à la Beaujoire avec Manchester. Il avait une main à la place du pied. Il y avait le Russe de Porto également : Alenitchev ! Tu sens qu’ils avaient un truc en plus. 

En 1997, votre parcours a été marqué par cette défaite face à Aarhus dès le premier tour et le 10/10 très rare de Lars Windfeld dans l’Equipe, le gardien danois, qui vous avait écoeurés !

Déjà à l’aller, il y a une petite histoire avec le stoppeur d’Aarhus ! Raynald, nous dit avant le match qu’il s’agit vraiment d’une équipe quelconque et que ce joueur (Torben Piechnik, ndlr) n’est vraiment pas terrible (rires). Résultat, il nous met un coup-franc en pleine lucarne à 30 mètres (rires). À la fin du match, Raynald nous dit un peu penaud : "il n'avait pas tiré de coup-franc dans les matchs précédents“ (rires). On a tout essayé au match retour. Surtout Nicolas Savinaud qui n’a jamais eu autant d’occasions mais le gardien lui a tout enlevé ! Il était sur une autre planète. 

Vos victoires en Coupe de France en 1999 (Sedan) et 2000 (Calais) vous ouvrent à nouveau les portes de l’Europe Qu’est-ce qu’on retient de ces déplacements européens « exotiques » (Ionikos Nikeas, Inter Bratislava, Kryvbass, MTK Hungaria...) plus de 20 ans après ?

C’est vraiment très bizarre. Tu n’as pas l’impression que tu vas jouer la Coupe d’Europe mais c’est ce genre de match qui nous fait grandir. Ce sont des footballs un peu différents. Ils voyaient arriver des gamins (rires)... je ne sais pas s’ils nous prenaient au sérieux. C’est l’occasion de voir du pays aussi. Quand l’hôtel était en centre-ville on faisait une promenade. Je me rappelle de Moscou et de la Place Rouge en 1996 ou d’Athènes la même année et de notre hôtel avec l’ascenseur qui donnait sur la plage ! C’est d’autres cultures... J’adorais tomber contre une équipe portugaise aussi. Ça me permettait de renouer avec mes origines. C’est l’occasion de faire parler du FC Nantes en dehors de l’hexagone. Il y a eu Cork City (2005) en Intertoto sur un petit terrain champêtre mais dans une ambiance extraordinaire. Ce sont des matchs un peu hors du temps. Différents du football d’aujourd’hui. 

En 99, vous aviez aussi affronté ceux qui allaient devenir les « Invincibles » quelques années plus tard... Arsenal ! On se rappelle d’un match d’anthologie à la Beaujoire !

On prend 3-0 à Highbury... Un stade mythique. On était à quelques centimètres de la première rangée de spectateurs. Il fallait faire attention à ne pas se faire bousculer et finir en tribune. On avait tenu les 20 premières minutes avant de sombrer. À la Beaujoire on fait un super match (3-3). Les mecs en face ne comprenaient pas qu’on soit si mal classés en championnat ! Ça jouait en mouvement, à une touche ! C’était beau à voir. 

L’année suivante, c’est Porto qui se présente à vous en 8e de finale de Coupe UEFA...
C’est l’équipe qui m’a le plus impressionné ! On n'avait pas vu le jour en 2e période à Porto. Il y avait Deco, Alenitchev et Capucho ! Ils nous avaient mis un bouillon incroyable. Ils gagnent la Ligue des Champions trois saisons plus tard quand même. C’est la pre- mière fois et peut-être l’unique fois que j’ai vu Sylvain Armand en difficulté. Capucho lui en avait fait voir de toutes les couleurs. Après, on était encore engagés dans toutes les compétitions... C’est l’année du titre, on est en demie de Coupe de France et en demie de Coupe de la Ligue. On avait un groupe très jeune ! C’était difficile d’être présents sur tous les tableaux. C’était une saison exceptionnelle. Dans nos têtes, on voulait avant tout être Champions de France.  

Ça aurait pu être Liverpool au tour suivant... Un club pour lequel vous avez failli signer ! Pas de regret de ne pas avoir traversé la Manche ?

Oui ça aurait pu se faire... J’étais en contacts avec Gérard Houiller. Dans ma tête, j’avais l’envie de jouer la Ligue des Champions avec Nantes, mon club formateur. Je savais ce que j’avais avec le FCN. Je n’ai aucun regret d’avoir effectué toute ma carrière au club. On a vécu de sacrés moments. Notamment la soirée du miracle, de la survie, face à Metz en 2005. Il y avait une ambiance de dingue. Je m’en rappellerai toute ma vie. Je suis sorti à 10 minutes de la fin à cause d’une blessure... je ne tenais plus sur le banc ! C’était horrible. On peut aussi évoquer la finale de la Coupe de la Ligue. C’était notre troisième finale au Stade de France malgré tout ! 

Matthieu BELLÉE Journaliste au Journal Nantes Sport