"La finale Lyon-Nantes est un des plus mauvais souvenirs de ma carrière"

Le FC Nantes reçoit l'Olympique Lyonnais mercredi pour une 1/2 finale de coupe de France. Une affiche qui n'est pas sans rappeler une finale de coupe de France perdue par les Canaris il y a 50 ans face à l'OL qui l'avait emporté grâce notamment à un deuxième but entaché d'une main de Bernard Lacombe que Robert Wurtz, l'arbitre de cette finale n'avait pas vue. L'un des plus grands sifflets de l'hexagone est revenu en exclusivité pour le Journal Nantes Sport sur l'un des moments les plus marquants de sa carrière.

Avr 2, 2023 - 01:42
Avr 9, 2023 - 10:00
"La finale Lyon-Nantes est un des plus mauvais souvenirs de ma carrière"
Robert Wurtz n'a pas oublié cette finale de coupe de France entre Lyon et Nantes qui l'a particulièrement marqué. Crédit photo : René Bach

Le FC Nantes dispute ce mercredi une 1/2 finale de coupe de France face à l'Olympique Lyonnais. Ce match a forcément une résonance particulière pour vous ?

Déjà avant le match, le tirage au sort. Je me disais tiens, peut-être que l'on pourrait arriver à une finale Nantes-Lyon. Ce n'est pas tout à fait le cas puisque c'est une 1/2 finale. Evidemment dans mes souvenirs mais ce n'est pas le meilleur, ça fait maintenant 50 ans, un demi-siècle que j'ai arbitré la finale Lyon-Nantes en 1973 au Parc des Princes. Malheureusement pour moi, cette finale n'a pas été un très bon souvenir, c'est même un des plus mauvais. Je me rappelle qu'avant le match, le journaliste Léon Zitrone avait dit : "demain au Parc des Princes, la finale arbitrée par le prince des arbitres". Mais le prince des arbitres ce jour-là s'est trompé, une fois on le sait surtout, sur le deuxième but Lyonnais où je n'ai pas vu la main de Bernard Lacombe. Et aussi sur le but de Didier Couécou qui réduit le score en s'aidant de la main. Donc une journée noire pour moi. 

"J'avais programmé un duel entre Domenech et Couécou, deux clients spéciaux"

Comment aviez-vous préparé ce grand rendez-vous qui arrivait quatre ans après vos débuts dans l'élite ?

J'avais la réputation à l'époque d'être toujours près du jeu parce que j'étais en pleine forme et ce jour-là, j'avais programmé, parfois on programme mal, un duel dans le match entre Raymond Domenech, arrière droit de Lyon, et Didier Couécou, ailier gauche de Nantes. Or, Domenech et Couécou étaient deux clients spéciaux. Alors que Lyon menait 1-0 suite à un pénalty logique, sur un corner en faveur de Nantes, les Lyonnais mènent un contre offensif mais moi, dans ma programmation, je m'étais un peu attardé sur Domenech et Couécou, parce qu'il fallait toujours se méfier s'il se passe quelque chose entre les deux. 

Et arrive cette 63ème minute...

La contre attaque de Lyon avait été rapide et je me suis retrouvé à 30-40 mètres de l'attaque Lyonnaise, où Lacombe, il l'a ensuite reconnu, s'était aidé de la main pour emmener le ballon et marquer le deuxième but pour Lyon. D'un autre côté, et là c'est aussi une erreur que j'avais commis mais qui m'a servi de leçon, j'avais dit à mes juges des touches (comme on les appelle alors) : si vous voyez une faute cachée près de chez vous, vous me la signalez. L'un de mes juges de touche, Achille Verbecke, a appliqué mes consignes. Il avait bel et bien vu je crois que Lacombe s'était aidé de la main, mais cette main était de l'autre côté du terrain presque, à 30-40 mètres de lui. Je ne peux pas lui en vouloir, parce que les consignes que j'avais données n'étaient pas bonnes. J'avais naturellement changé mes consignes après cette finale, en disant à mes juges de touche, que même s'il y avait une action décisive loin d'eux, ils pouvaient me la signaler.

"Ma carrière arbitrale en a un peu souffert, je n'étais plus tout à fait le même"

Comment se remet-on d'un tel match ?

Cette finale a été très importante dans ma vie. Elle m'a valu ce contre-coup qui naturellement s'est produit le jour où la France du football était au rendez-vous n'était pas bon pour moi, et a valu chez moi une quasi-déprime. Ma carrière arbitrale en a un peu souffert, je n'étais plus tout à fait le même. Et surtout, pour garder quand même un peu ma condition physique qui était bonne, je me suis tourné vers un deuxième sport que j'aimais beaucoup, à savoir le vélo. Mais le vélo de randonnée, à tel point que je me suis carrément acheté un vélo de course, je l'ai encore aujourd'hui mais il est un peu rouillé, lui aussi a 50 ans. Et avec ce vélo, je m'entrainais sur les cols Alsaciens, et j'ai appris à connaitre des randonneurs Strasbourgeois qui m'ont dit : "tiens Wurtz, si vous voulez, on va aller à la randonnée des Alpes". Et bien je les accompagnés, c'était en juillet 1973, un peu près un mois après cette satanée finale. Et grâce à ça, j'ai fais une chose que dans ma vie je ne ferais plus, c'est la randonnée des Alpes de Grenoble à Grenoble en 18 heures par les cols de la Croix de Fer, le Lautaret et surtout le Galibier. 

Avez-vous eu l'occasion d'évoquer cette finale avec Bernard Lacombe depuis ?

Mon dernier match professionnel mais qui était un match de gala, je l'ai arbitré le 5 septembre 2015 entre les anciens internationaux de l'équipe de France et les anciens de l'Olympique Lyonnais à Dijon, il y avait comme spectateur Bernard Lacombe avec son président Jean-Michel Aulas. Je me rappelle que lors de la soirée de gala qui a suivi le match, j'ai dit à Jean-Michel Aulas et devant Bernard Lacombe, que grâce à la main de Bernard Lacombe, j'ai quand même une fois fait le Galibier dans ma vie. Et d'ailleurs sur ce match où je n'ai arbitré qu'une quinzaine de minutes, j'avais quand même 73 ans, j'avais été accueilli à la gare de Dijon par un autre Nantais Eric Carrière, qui est maintenant dans les vins d'excellence de Bourgogne. 

"La VAR ? Ce n'est pas comme ça que j'ai aimé le football en tant que joueur, spectateur ou arbitre."

On vous sait farouche opposant à l'assistance vidéo, mais est-ce que ce soir-là, vous auriez aimé avoir recours elle pour prendre la bonne décision ?

Je réponds toujours non, je sais bien qu'il aurait été facile de dire, voyez si ce jour-là j'avais eu le VAR, j'aurais pris la bonne décision. Non pas du tout, le monde a continué, la vie a tourné, le FC Nantes a continué, et moi j'ai pris ma leçon. Et ensuite, la preuve avec le Galibier, je ne m'en suis pas senti plus mal. Le football est fait de formidables matchs entre les hommes et l'arbitre, c'est aussi un homme, les joueurs parfois aussi, manquent des occasions monumentales, l'arbitre peut de temps à autre, ne pas voir une main. La seule assistance que j'admettrais aujourd'hui, c'est celle que je dois un peu à mes études qui étaient scientifiques. Celle de reconnaitre un appareil qui me dit que le ballon est entièrement rentré dans le but. C'est une décision qui ne met pas mon autorité en jeu. Mais si j'arbitre un match où à la 10ème minute, j'ai un doute sur un pénalty où la VAR me corrige, ou me dit regarde et change ma décision, vous voyez un peu l'autorité morale et humaine que j'ai sur les joueurs. Le football reste le grand sport que nous aimons, il a ce genre d'assistance désormais mais moi, je suis de l'époque où le football était une aventure qu'on vivait une fois. Comme une tragédie Grecque, où il pouvait se produire un drame. Je dois dire qu'avec tout ce qu'on voit avec la VAR à la télévision, je ne sais plus trop aujourd'hui ce qu'est une main volontaire par exemple. Et je n'aime pas les matchs qui doivent avoir une tension parmi les spectateurs, sur le terrain, qui sont interrompus parfois par plusieurs minutes de consultation d'écran, ça casse le rythme. Ce n'est pas comme ça que j'ai aimé le football en tant que joueur, spectateur ou arbitre.

Comment se sont passées vos retrouvailles avec le FC Nantes quelques semaines plus tard lors d'un Nantes-Nice, match sur lequel vous accordez notamment un pénalty aux Canaris converti par Bargas ?

Le match s'était bien passé. Finalement, les Nantais ne m'en ont jamais voulu de cette erreur, puisque j'ai fais bien des matchs après à Nantes. Il faut dire qu'à l'époque, nous avions un grand président, Monsieur Louis Fonteneau, et puis il y avait des joueurs comme Henri Michel et d'autres qui, ma foi ne m'en ont pas voulu. Je le répète, c'est une finale qui a été des point noirs de mon arbitrage, mais qui m'a fait réfléchir à beaucoup de choses. Concernant Bargas, j'avais été appelé par Carlos Acosta, un ancien joueur professionnel Uruguayen pour arbitrer son jubilé. Et ce même Acosta m'a fait arbitrer le jubilé du frère de Bargas qui avait lieu eu Puy-en-Velay. Je dois dire aussi que le jour de la finale, le joueur de Nantes qui était juste en face de Lacombe au moment où il s'aide de la main, c'était justement Hugo Bargas. D'ailleurs, il n'y avait pas beaucoup de Nantais qui avaient protesté avant que je n'accorde le but. Bragas lui par contre, avait vu la main puisqu'il était chargé de couvrir Lacombe. 

Cette finale entre Lyon et Nantes vous a peut-être aussi servi de tremplin puisque, vous avez enchainé par une deuxième finale de coupe de France en 1976, la finale de la coupe d'Europe des clubs en champions en 1977 et la Coupe du Monde en 1978 ?

Oui naturellement, et je signale au passage que dans la finale de 1976, j'avais aussi des Lyonnais face à Marseille et cette fois-ci, les Lyonnais ont perdu. C'est vers l'automne 1973 après le Galibier, que j'ai à nouveau cru à ma façon d'arbitrer, encouragé en cela par mon mentor Pierre Schwinté qui m'a dit "allez, il faut se reprendre !". Et je me rappelle d'un match amical que j'avais arbitré le 1er novembre 1973 à Sochaux, un match dans la boue avec une équipe Brésilienne. L'entraîneur de Sochaux était René Hauss, qui était le joueur que j'admirais beaucoup du temps où j'étais petit spectateur du RC Strasbourg. Ce jour-là, je me suis donné à fond, devant 1500 spectateurs mais on a vu que j'étais en plein boum de nouveau. René Hauss m'a dit à la fin du match : "vous voyez Wurtz, ça c'est vous, il faut continuer." Je me souviens aussi d'un match à Chaumont en D2 en février 1974 où les gens m'ont applaudit à la sortie, et où je leur montre même le poing pour leur dire, vous voyez je suis de nouveau là. Et bien deux mois après, je faisais ma tournée au Brésil et j'arbitrais au Maracana, un peu près 9 mois après la finale de 1973. Comme quoi dans la vie, il y a parfois des rebonds et des nouveaux départs.

Lors de la saison 1978-1979, le RC Strasbourg et le FC Nantes sont à la lutte pour le titre de champion de France. Cette saison-là, vous dirigez les Nantais à quatre reprises dont un match face au Paris FC où vous accordez un pénalty transformé par Gilles Rampillon. Ce n'était pas une position facile pour l'arbitre Alsacien que vous êtes ?

Ce n'était effectivement pas facile parce que je pouvais toujours être suspecté d'être pour Strasbourg. Mais non, j'étais arbitre avant tout. Je me souviens que le lendemain de ce match en arrivant à la gare de Strasbourg, il y avait deux ou trois amoureux du RC Strasbourg, des jeunes qui m'ont fait une remarque sur le pénalty accordé. Il est vrai que ma position ne fût pas facile cette année-là, mais je suis sûr que dans les matchs, j'avais complètement barré le fait que j'étais un ancien du RC Strasbourg. L'honnêteté passait avant tout. 

"Henri Michel pour moi, c'est le number one"

Que vous inspire le parcours d'Antoine Kombouaré à la fois en tant que joueur et entraîneur ?

J'ai connu Antoine Kombouaré lorsqu'il était joueur avec Nantes à ses débuts. Je terminais et lui commençait. La FFF m'avait envoyé deux ou trois fois arbitrer en Nouvelle-Calédonie pour des matchs pour des matchs entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande. J'y ai fais des causeries auprès de jeunes arbitres Calédoniens. je dirais que les gens là-bas sont des personnes de très fort caractère, sachant ce qu'ils veulent. Je n'ai pas peur que Kombouaré soit un faible de caractère, je pense qu'on peut lui faire confiance sur le long terme. Quand j'ai commencé à arbitrer le FC Nantes à 28, 29 ans, c'était José Arribas l'entraîneur. J'ai encore arbitré Jean-Claude Suaudeau lorsqu'il jouait, je l'ai ensuite vu devenir entraîneur et excellent technicien. Là aussi, le FC Nantes était entre de bonnes mains.

Le ou les joueurs du FC Nantes qui vous ont marqué ?

Le premier que je vais citer et qui n'est malheureusement plus de ce monde, c'est Henri Michel qui était le grand capitaine de l'époque. Je me rappelle qu'après ma carrière d'arbitre, dans mes fonctions de représentant pour Eurest, j'allais souvent au Parc des Princes pour accompagner des clients d'Eurest sur des matchs. Eurest qui a été le sponsor maillot du FC Nantes durant un bout de temps. Je me retrouvais souvent à la fin des rencontres aux 3 Obus, un restaurant situé porte de St-Cloud avec son patron Monsieur Lebars qui malheureusement lui aussi n'est plus de ce monde. Je me rappelle d'un soir où on discutait à n'en plus finir d'un match avec Henri Michel, qui était l'entraîneur du PSG avec d'excellentes bières que le patron servait très bien. On discutait football, on refaisait le monde avec le patron, Henri Michel et moi-même. Et vers 2h du matin où on était toujours encore là, arrive Jean-Michel Moutier, ancien gardien de Nancy, avec qui on a continué et ce fût une nuit blanche. C'est pour ça que pour moi, Henri Michel c'est le number one. Je me permets aussi de rappeler qu'à mon époque, il y avait De Michèle, Rampillon, Blanchet, Bertrand-Demanes ou Bossis que j'ai également rencontré aux 3 Obus par la suite. 

Quels souvenirs gardez-vous de vos venues à Nantes ?

L'ambiance du stade Marcel Saupin me plaisait beaucoup. Je connais l'ambiance du stade de la Beaujoire mais disons un peu moins en tant qu'arbitre. Du temps où j'arbitrais à Marcel Saupin, j'arrivais en gare de Nantes, qui n'était pas loin pour aller jusqu'au stade. J'ai arbitré quelques matchs à la Beaujoire. Je me rappelle d'un 1/8ème de finale de coupe de France entre Nantes et Auxerre. Michel Der Zakarian jouait à Nantes et Eric Cantona à Auxerre. Et je pense que dans ce match-là, il y avait un gros compte à régler entre Cantona et Der Zakarian. Et après une demi-heure de jeu, Cantona fait un tacle pied joint sur Der Zakarian et j'avertis Cantona, ce qui était un minimum. Et quand je montre le carton jaune à Cantona, j'entends une réplique que je n'ai jamais entendu de ma vie d'arbitre, Cantona me dit : "vous pouvez préparer le rouge". Et cinq minutes après, il a fait ce qu'il fallait pour être expulsé. A la fin du match, Guy Roux était venu un peu plaider sa cause en me disant, Der Zakarian et Cantona se connaissent depuis les sélections cadets, juniors. Donc j'ai appris à connaitre le stade de la Beaujoire aussi avec Eurest où j'étais en charge des relations publiques dans ma huitième et dernière profession, on allait de temps à autre à Nantes avec des clients.

Propos recueillis par Lionel Schneider