FC Nantes : « Ce sont souvent ceux qui avancent cachés qui accèdent au monde professionnel. »
Alors que le FC Nantes s’est davantage tourné vers sa formation cet été, le Journal Nantes Sport est parti à la rencontre de Samuel Fenillat, directeur du centre de formation du FC Nantes. Pour la deuxième partie de cette interview, celui qui est en place depuis 2010 évoque les résultats des équipes de jeunes, le recrutement des joueurs dans le centre de formation, ceux qui sont sélectionnés en Equipe de France et le projet de changement de lieu pour le centre d’entrainement.
Avec 3 finales U19 sur les 4 dernières années dont 2 titres, une demi-finale de Coupe Gambardella l’année dernière, comment expliquer le succès de la formation nantaise ?
Le football est complexe. Il y a pleins de facteurs. On a de bons éducateurs. On a une méthodologie qui nous permet de bien travailler. Notre cellule de recrutement a de l’expérience. Nos joueurs ont de la qualité. C’est un ensemble de choses. Après, ces résultats, ce n’est pas la finalité. Ça donne de la visibilité médiatique, à l’intérieur du club. Les supporters veulent voir les différentes générations mais la finalité, c’est l’équipe pro. Au niveau de la formation, je dis souvent « Vivons heureux, vivons cachés ». J’aimerai qu’on ne parle que des jeunes qui jouent en pro mais aujourd’hui on voit qu’ils font parler. Il faut leur apprendre à bien gérer ça. Certaines choses me choquent aujourd’hui. Quand ils marquent un but, ils vont voir le photographe, plus que leurs coéquipiers. Parfois la communication et les résultats peuvent s’entrechoqués. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus exposés. Il faut évoluer avec son temps tout en faisant attention. Les résultats font du bien à l’image du club mais l’important c’est d’être lucide sur ces sujets. Il ne faut pas non plus opposer formation et compétition. C’est là que les joueurs se révèlent. C’est important de pouvoir les vivre. C’est un accélérateur de formation, on l’a vu. Vivre ces intensités de match, le stress, les préparations, le public : ça n’a pas de valeur en termes d’apprentissage. Dans un monde où tout va vite, on essaie de les préparer au plus vite à ce qu’ils vont vivre en pro.
« Pouvoir vivre des moments comme la Youth League, ça n’a pas de prix »
Ce sont aussi les attentes autour de la nouvelle campagne de Youth League ?
Bien sûr, c’est une aventure humaine pour eux. Ils s’en souviendront toute leur vie. Pour grandir sportivement, dans la gestion des émotions, de l’événement, c’est top. Pour être plus matures et grandir plus vite, pouvoir vivre ces moments, ça n’a pas de prix. Seuls ces matchs-là peuvent reproduire ces émotions. Il faut vivre le maximum de situations, que ce soit sur le terrain ou en dehors, pour pouvoir mieux les appréhender et grandir.
La participation à des compétitions comme celle-ci permet-elle d’attirer plus de jeunes à La Jonelière ?
Ça donne de la visibilité. Au niveau de la communication, il y a un équilibre à trouver. Il ne faut pas tout cacher et donner du sens à ces compétitions. Ça donne une bonne image du club. Les jeunes peuvent avoir envie de venir jouer ici pour vivre ces émotions. Nos recruteurs sur le terrain vont appuyer sur ces aspects-là. Ce sont des éléments qui peuvent impacter le recrutement mais il y en a d’autres. J’en parlais avec Luis Castro. Un jeune venait à La Jonelière. Il a souhaité le connaître, qu’on lui présente, qu’il l’appelle par son prénom, qu’on lui fasse visiter. Le jeune peut se dire que le coach des A le connaît. Ça fait partie de ce qui va les attirer au FC Nantes. Après, certaines familles vont aussi regarder ce que le club est prêt à mettre sur la table. On peut les comprendre en fonction d’où elles viennent.
« Sur les 20 joueurs de la Youth League en demi-finale il y a 2 ans, 16 étaient issus de notre école de football »
C’est quelque chose sur lequel vous travaillez ? Les arguments auprès des familles, le contact que vous avez elles…
Bien sûr. On trouve d’autres moyens. On a un outil exceptionnel avec l’école du CENS. On s’appuie sur notre réservoir local. Sur les 20 joueurs de la Youth League en demi-finale il y a 2 ans, 16 étaient issus de notre école de football. C’est une belle réussite par rapport à ce qu’on a essayé d’enclencher il y a 10-15 ans. Nos conditions d’accueil sont top. Le CREPS et le CENS sont à proximité avec des études adaptées. On s’appuie sur ça et sur les jeunes qui viennent de la région. Quand on cite des noms comme Zézé, Merlin, Rongier, Mendy, Touré, Dubois, ça fait aussi partie des arguments. Les jeunes se disent qu’au FC Nantes, ils peuvent devenir pros. Parmi 3 joueurs qui jouent chez nous en jeune, 2 viennent de la région nantaise et 1 de la région parisienne.
« Nos recruteurs sont dans les Pays de la Loire mais aussi à Paris, Bordeaux et en Bretagne »
Au niveau du nombre de recruteurs, comment sont-ils répartis ? Combien en avez-vous ?
Il y a 10 observateurs : dans la région pays de la Loire : il y a 2 temps pleins dont le responsable recrutement et 1 temps partiel. On est aussi en région parisienne avec 1 temps plein et 3 temps partiels. On est là-bas parce qu’en terme de population, c’est presque un pays. C’est l’un des viviers de talents les plus grand du monde peut-être. Il faut être performant à Paris donc on y a une cellule. Les 3 derniers observateurs) sont sur des temps partiels en Bretagne, dans le centre et la région bordelaise On s’y dirige aussi depuis un an. On s’est dit qu’il fallait être présent après leur descente en National 2. On est en Bretagne mais il y a beaucoup de clubs pros : Rennes, Brest, Lorient. Pour que les joueurs ne soient pas déracinés, il y a une règlementation qui fait que les jeunes ne peuvent pas partir de chez eux avant 15 ans afin qu’ils s’inscrivent en priorité dans leur région. On sait aussi que le fait de pouvoir rentrer chez soi, c’est un confort. Ça nous permet aussi d’avoir les meilleurs joueurs des Pays de la Loire
Quelle est votre proximité avec les clubs du secteur ?
On a des personnes qui sont en lien avec les clubs de la région sur le recrutement. On invite les clubs à La Beaujoire, à la Jonelière. On essaie de créer du lien. Ils espéreraient plus mais ce n’est pas toujours évident. Il en faut pour tout le monde. Ce n’est pas simple de trouver la bonne formule. Quand des garçons de leur club passent pros au FC Nantes, ça valorise aussi leur travail. Nathan Zézé vient de Saint-Julien Divatte, Loann Doucet du Loroux-Bottereau, Quentin Merlin de Pornic, Batista Mendy de Saint Nazaire…
Aujourd’hui, vous recrutez des jeunes dans les autres centres de formation ?
Non, certains le font mais ce n’est pas notre politique. Pendant longtemps, il y avait un accord officieux entre les clubs. On ne s’attaquait pas sur des joueurs. Ça existe aujourd’hui. Si on regarde Strasbourg, Lyon, Monaco, ils vont acheter des joueurs dans d’autres clubs pros. C’est une question d’avoir les moyens. On ne le fait pas. Je n’aimerai pas qu’on nous le fasse.
Yassine Benhattab n’est pas issu du centre de formation et vient du monde amateur même s’il a été formé à Niort. Vous jouez un rôle dans le recrutement de jeunes joueurs issus du monde amateur comme lui ?
Non, c’est la cellule professionnelle qui s’en occupe. On l’avait vu à l’époque parce qu’on avait joué en Coupe Gambardella contre Niort. Il jouait et avait été bon. On s’était renseigné sans donner suite. C’est un garçon qu’on avait identifié.
« Ce sont souvent ceux qui avancent cachés qui accèdent au monde professionnel. »
L’éclosion de Louis Leroux, Herba Guirassy ou encore Tylel Tati, vous vous y attendiez ? C’est quelque chose qu’on peut repérer dès le plus jeune âge ?
On a souvent une idée de ceux qui peuvent y arriver. On n’est pas complètement surpris de les voir eux. Ils faisaient partie de la liste des joueurs qu’on imaginait peut-être ici. On pensait que d’autres allaient finir en professionnel sans y aller finalement. On voit au niveau de leur personnalité qui peut y aller. On n’a aucune certitude quand ils ont 15-16 ans. Le plus important, c’est qu’ils se construisent sur les 3-4 ans au centre de formation. Il y a plein de parasites aujourd’hui pour un jeune.
« Sur les réseaux sociaux, il y a le syndrome de la pépite »
On a beaucoup de joueurs qui finissent professionnels qui n’ont pas été en équipe nationale en jeune. Ce sont souvent ceux qui avancent cachés qui accèdent au monde professionnel. Ceux qui ont de la qualité sans surexposition. Louis Leroux n’a été appelé qu’en U20, Jordan Veretout et Randal Kolo Muani aussi. Quentin Merlin a été appelé quelque fois en U17 mais pas régulièrement avant d’aller en Espoirs. Beaucoup ont ce profil. Ceux qui sont un peu trop vite dans la lumière subissent la médiatisation, les réseaux, les agents, les clubs. Ils se permettent des choses et finissent par régresser. Ceux qui ont la bonne attitude au quotidien, qui maintiennent leur engagement, ce sont eux qui vont réussir. Quand on fait la Youth League, tout le monde en parle. On essaie de les protéger. Sur les réseaux sociaux, il y a le syndrome de la pépite. On classifie trop facilement un joueur comme tel. Les jeunes lisent ça et c’est destructeur. Il y a tellement de choses qui peuvent se passer en formation que ça peut les déconnecter du jeu.
Quand on voit des Nantais sélectionnés avec les équipes de France. En U18, en plus de Tylel Tati, on a Tom Raiani. Moustapha Dabo et Yoann Chauvin en U19. On ne peut pas dire que ce seront eux les futurs joueurs du FC Nantes ?
Il peut y en avoir mais il faut faire attention. Les joueurs qui ont les meilleures carrières ne sont pas forcément ceux qui sont sélectionnés jeunes. On n’aime pas trop qu’il y aille parce que ça attire pleins de mauvaises choses autour. Le joueur peut s’imaginer plus beau qu’il n’est, des agents peuvent se battre pour lui. Ça tourne la tête des familles. Mais les matchs en équipe de France sont aussi une bonne expérience. Les jeunes grandissent. Il faut avant tout être vigilant et communiquer avec eux.
« Je pense que si on veut rester à la Jonelière, il faut réduire le nombre de personnes présentes. »
Quelles sont vos envies par rapport au centre de La Jonelière. Vous souhaitez rester ici ?
On est tous attaché à La Jonelière. Les personnes qui viennent ici perçoivent l’âme de l’endroit. On s’y sent bien. C’est un lieu exceptionnel mais qui a besoin d’être rénové. Le problème, c’est qu’on est tous un peu les uns sur les autres : l’école de foot, la préformation, les pros, la section féminine qui n’existaient pas il y a un peu plus de 10 ans qui grossit et c’est normal. Rester ici alors qu’on ne peut pas s’étendre c’est compliqué. Est-ce qu’une partie doit partir, c’est au président d’en décider. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas faire de terrain ici. On peut rénover les bâtiments mais on restera toujours un peu à l’étroit. Je pense que si on veut rester ici, il faut réduire le nombre de personnes.
« Aujourd’hui pour la formation, la Jonelière est un lieu privilégié »
En tant que directeur du centre de formation, vous souhaiteriez rester ici ?
Aujourd’hui pour la formation, la Jonelière est un lieu privilégié du fait de son histoire, son accessibilité : proche de la voie rapide, du tram. Il y a l’école du CENS, unique en France et adapté aux sportifs de haut niveau, avec de la mixité de disciplines sportives, de genre et des effectifs réduits. Il y a aussi le CREPS où l’on peut créer des liens sur les performances, les entrainements. Nos internes de la section Elite logent dans leurs locaux. Pour la formation, on a tout ici. La seule chose qui manque, c’est un terrain et des vestiaires neufs. Si on avait l’opportunité de pouvoir être là, c’est un plus. Les jeunes peuvent rentrer chez eux le soir, proches de la gare. C’est un luxe. Avec le projet d’Ancenis, tous seraient internes et rentreraient moins chez eux. Les enfants de 13-14 ans, s’ils peuvent rentrer dans leur environnement familial le plus possible, je pense que c’est mieux.
Propos recueillis par Thibault Marchand
