« Sur les 25 dernières années, Le FC Nantes est le deuxième club à avoir lancé le plus de jeunes en pros »
Alors que le FC Nantes s’est davantage tourné vers sa formation cet été, le Journal Nantes Sport est parti à la rencontre de Samuel Fenillat, directeur du centre de formation du FC Nantes. Pour la première partie de cette interview, celui qui est en place depuis 2010 évoque les changements de cet été, le fonctionnement du centre de formation et l’impact de Luis Castro.

Le club a pris un tournant cet été en mettant davantage en avant les jeunes, comment avez-vous été impliqué dans ce processus ?
Avec mon équipe, on était en lien avec Luis Castro pour lui faire gagner du temps avant son arrivée. Avec les nombreux départs, il devait compléter son effectif avec des jeunes sur la reprise. On lui a présenté nos joueurs avec des données, des vidéos, les ressentis du staff. Depuis qu’il est là, on échange au quotidien. C’est plutôt agréable. Ça n’a pas toujours été le cas avec les anciens entraineurs. Luis Castro a un passé de formateur. Il connait le fonctionnement des centres de formation. Il a été à notre place. Il a pu connaître les frustrations et les tensions qui peuvent être liées à un manque de communication. On échange sur les passerelles, les joueurs qui montent, les besoins qu’ils ont. Aujourd’hui, les échanges sont très fluides.
« Seul le temps permettra à Luis Castro de connaître davantage les jeunes »
Comment a été décidé cette mise en avant des jeunes ?
Il y a plusieurs choses : des joueurs sont partis et le contexte économique est particulier. Au début de l’été, l’effectif était en construction. Certains jeunes sont montés pendant l’été pour compléter le groupe avant qu’il soit complet avec la dizaine de recrues qu’il y a eu depuis. Cette gestion n’est parfois pas toujours simple. Parmi ces joueurs, plusieurs ne vont jouer qu’avec la réserve cette année. Il faut leur faire comprendre que ce n’est pas définitif. C’est une opportunité pour eux de se montrer. Des joueurs comme Leroux, Tabibou, Guirassy, Doucouré étaient déjà dans le groupe l’an passé. Tylel Tati est rentré dans le groupe aussi. Régulièrement, des jeunes sont appelés sur les séances d’entrainement. Le projet jeune, c’est un mot mais il n’y a que le temps qui va créer des connexions, de la connaissance, des échanges entre la formation et le staff de l’équipe A. Seul le temps permettra à Luis Castro de connaître davantage les jeunes et le club aussi. C’est ce qui lui permettra d’en incorporer au fur et à mesure. Il y a une logique sportive à prendre en compte aussi. Il faut des résultats. L’intérêt n’est pas que d’intégrer des jeunes. Il faut qu’ils répondent présents.
La vente d’un Nathan Zézé, formé au club a été poussée par la situation des droits TV en France et le contexte économique. Quel est votre sentiment par rapport à ce départ ?
Ce contexte touche tous les clubs français. C’est l’une des premières fois où quasiment tous sont dans le vert sur leur balance des transferts (ndlr : les clubs ont plus vendu qu’acheté de joueurs) à la fin d’un été. C’est vital pour la continuité du club. En tant que formateur, je ne peux pas dire que je suis content qu’il parte à 20 ans. On aimerait les voir plus longtemps sur le terrain, amener d’autres jeunes et qu’une émulsion se créée. On voit bien que c’est compliqué. Seuls les grands clubs ont cette faculté. Est-ce qu’on a les moyens de faire autrement… Je ne sais pas. Dans un autre contexte, on a eu les départs de Quentin Merlin, Randal Kolo Muani, Jordan Veretout, Imran Louza. Selon des études qu’on a faites, à 22-23 ans, le joueur qu’on a formé n’est plus au club.
« Selon des études qu’on a faites, à 22-23 ans, le joueur qu’on a formé n’est plus au club. »
C’est lié au contexte du FC Nantes ? En avril 2024, vous parliez d’un budget de 4-5 millions d’euros pour le centre de formation. Ce budget évolue avec les ambitions du club ?
On reste sur les mêmes bases, aux alentours de 5 millions d’euros. C’est le même budget depuis longtemps. Il est correct et en rapport avec les moyens du club. On n’est pas Paris, Lyon, Rennes ou Monaco. Pour la formation, on peut rester concurrentiel et bien fonctionner malgré ces montants. Sur les 25 dernières années, on est le deuxième club à avoir lancé le plus de jeunes en pros, derrière Rennes. Sur la durée, on arrive à être performant. C’est un signe positif. On a des joueurs dans toutes les sélections françaises. On va participer pour la 3e fois à la Youth League en 4 ans. A l’inverse de Paris, on doit aller chercher la qualification chaque année. C’est une super expérience pour les jeunes. Ça les fait grandir et ça montre la qualité des éducateurs.
« C’est le temps qui fait la réussite du modèle. Aujourd’hui on est dans le culte de l’instant et c’est un danger pour le football. »
Est-ce qu’il y a une référence des centres de formation pour vous en France ? Vous avez parlé de Rennes, est-ce que c’est eux ?
Non même s’ils ont des gros moyens. Ils sont capables de sortir de bons joueurs. Ils fonctionnent bien mais la base, c’est le recrutement. Si on a les moyens, on peut attirer plus facilement certains jeunes même si ça ne fait pas tout. Si on est le deuxième club avec le plus de joueurs qui finissent pros, on fait partie des références. Le luxe pour le club et pour moi, c’est d’avoir une vraie stabilité dans notre équipe éducative. Quasiment tous les éducateurs ont un vécu de joueur avec le FC Nantes. Sur la cellule de recrutement, on a des personnes qui sont là depuis plus de dix ans. C’est le temps qui fait la réussite du modèle. Aujourd’hui on est dans le culte de l’instant et c’est un danger pour le football.
« Avec le projet jeunes, il ne faut pas s’attendre à ce que 10 jeunes jouent d’un coup »
La FFF note chaque année les centres de formation. Vous étiez 7e en 2024-2025. Quelle importance a ce classement pour vous ?
C’est un classement parmi tant d’autres. Il faut regarder ce que ça comporte. Dedans, il y a une partie scolarité. On a 100% de réussite au bac mais on a que 3 étoiles sur 5. Quel est le sens de ça ? Le classement est fait en fonction du nombre de joueurs présentés aux examens. Si vous le réduisez, vous aurez moins de points malgré la réussite. Ce qui va être important, c’est de regarder sur plusieurs années si on est capable de sortir des joueurs au niveau européen, national. J’émets des réserves sur le nombre de contrats pros. On peut en faire signer mais l’objectif, c’est que les jeunes jouent. Être le deuxième club à former le plus de professionnels, c’est ça qui est parlant. Aujourd’hui, les jeunes ne restent pas longtemps à Nantes. Ça permet à d’autres de jouer aussi. Il y a 25-30 ans, c’étaient les mêmes qui faisaient toute leur carrière ici. Selon une étude qu’on a faite, il y a en moyenne 2 à 3 joueurs qui font leurs premiers pas en pro chaque année au FC Nantes. On ne renouvèle pas chaque année l’effectif. Avec le projet jeunes, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils soient 10 à jouer d’un coup. Ceux qui vont jouer, c’est ceux qui ont été intégrés l’année dernière : Leroux, Guirassy, Tabibou. Tylel Tati qui est arrivé. Il y en aura peut-être un ou deux autres qui feront une apparition. C’est dur de ne construire qu’avec des jeunes qui ne vont rester qu’entre 3 et 5 ans. J’en rêve. Ça a été le cas par le passé. Aujourd’hui, je ne sais pas si c’est possible.
« On sent la vraie volonté de Luis Castro d’être en relation avec nous. Il l’a bien fait sentir dès le début »
Avec l’arrivée de Luis Castro, est-ce qu’on a une vraie différence de la prise en compte des jeunes qu’avec Antoine Kombouaré par exemple ?
L’adjoint d’Antoine Kombouaré était en relation avec nous tous les jours. Là, on sent la vraie volonté du coach d’être en relation directe avec nous. Il l’a fait sentir dès le début. On échange sur toutes les problématiques de gestion en partant du principe que tout est important mais que la priorité ce sont les pros. On est là pour aider et apporter notre contribution pour que l’équipe pro soit la plus performante possible. Les échanges sont très fluides. C’est l’une des premières fois où un coach connait mon bureau (sourire). Je suis au club depuis 2010 et c’est peut-être le premier qui vient directement me voir. On sent qu’il veut se rapprocher de nous.
C’est un coach avec un plan de jeu spécifique. Est-ce que son arrivée entraîne une modification de la façon de jouer de toutes les équipes de jeunes ?
Il est là depuis 2 mois. J’ai connu une vingtaine de coachs. Lui, il est focalisé sur la construction de son équipe. Il faut du temps. On pourrait mettre en place d’autres choses s’il reste longtemps. Il a ses idées pour ce qu’il veut faire avec les pros mais on n’en est pas rendu à le répertorier avec les jeunes. Par le passé, ça a été un sujet de conflit avec d’autres coachs. Christian Gourcuff (ndlr : entraineur du FC Nantes de 2019 à 2020) voulait imposer quelque chose. On l’a mis en garde parce qu’aujourd’hui, la durée de vie d’un coach n’est pas élevée. On aurait dû tout recommencer à son départ. C’est un projet qui ne peut se mettre en place qu’avec du temps. Finalement, on a bien fait de s’y opposer au vu du contexte actuel. J’aimerais que ce soit autrement pour pouvoir travailler sur la durée avec un entraineur mais si on regarde concrètement, j’ai connu plus de 20 coachs. Ce qui est important, c’est de garder une méthodologie dans le temps sur la façon de construire des effectifs, les entraînements, les cycle de travail, sur le développement des jeunes, la création de l’environnement autour d’eux… On a notre façon de travailler avec des éducateurs qui sont là depuis longtemps. L’idée c’est que chaque joueur soit en mesure de s’adapter à un nouveau système de jeu quel que soit son coach, son club. Pour ça, on les amène à comprendre le jeu en fonction de ce qui se passe sur le terrain. Quand on maitrise les espaces, les adversaires, les partenaires, on est capable de s’adapter.
« Je suis le directeur du centre de formation en place depuis le plus longtemps en France. »
On peut parler d’identité FC Nantes ou on voit ça dans tous les centres ?
Ça ne se fait pas partout parce que c’est une question de temps et de stabilité. Ici, on a la chance d’avoir ces deux critères. D’une année sur l’autre, en France, un tiers des directeurs de centre de formation sont encore en poste, un tiers ne sont plus là et un tiers ont changé de clubs. Je suis le seul en place depuis aussi longtemps en Ligue 1. Pour mettre en place un projet de formation, on est obligé d’avoir de la stabilité. On a parlé de jeu à la nantaise à l’époque parce qu’il y a eu un jeu efficace. On avait le sentiment que les joueurs se trouvaient sans se regarder. Ils sont parvenus à jouer de cette manière parce qu’ils ont pris le temps de jouer ensemble, de se regarder, de se comprendre. Au fur et à mesure, ça devient intuitif, rapide. On a eu le sentiment qu’ils pouvaient se trouver les yeux fermés. Aujourd’hui c’est difficile de recréer ça. Chaque année, on réfléchit à des manières de faire évoluer nos méthodes de travail mais on tient compte du contexte. Même au niveau du recrutement, on se construit en tant que formateur. On repère nos erreurs et on évolue en permanence.
Propos recueillis par Thibault March
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